Deadguy - Fixation On A Coworker
Chronique
Deadguy Fixation On A Coworker
La vie n’est pas toujours très juste...
Derrière cette phrase un poil générique balancée telle quelle en guise de préambule se cache tout de même une certaine vérité, en tout cas ici dans cette chronique. En effet, bien qu’il soit l’un des précurseurs de ce que certains appellent le "Mathcore" ou de manière moins prétentieuse ce que l’on nommait à mon époque le Hardcore Chaotique, Deadguy est aujourd’hui encore un groupe largement sous-estimé pour ne pas dire complètement occulté par tous ceux qui pourtant n’ont jamais manqué de se montrer enthousiastes face à des groupes tels que Botch, Converge et autre The Dillinger Escape Plan (à titre de comparaison Botch est parvenu à remplir l’Élysée Montmartre pour son bref retour sur les planches alors qu’en 2023 Deadguy ne faisait même pas salle comble au Point Éphémère...). Il faut dire que la carrière des Américains aura été de courte durée et qu’avant leur récente reformation en 2021, ces derniers n’avaient encore jamais mis les pieds en Europe... Deux facteurs pouvant expliquer, au moins en partie, ce manque flagrant de reconnaissance même si parmi ceux qui savent, tout le monde s’accorde à dire qu’il est bel et bien l’un des groupes les plus influents dans son genre.
Formé en 1994 à New Brunswick, New Jersey, Deadguy voit le jour à l’initiative de Tim Singer (ex-Citizens Arrest, ex-Junction, ex-Wide Awake, futur-Kiss It Goodbye...), Chris Corvino (ex-Lifetime), Dave Rosenberg et Tim Naumann. Après un premier EP paru dans la foulée sur Dada Records et Popgun Records (Whitemeat), le groupe est rapidement rejoint par un second guitariste avec l’arrivée du talentueux Keith Huckins (ex-Rorschach et futur-Kiss It Goodbye). Bien décidé à ne pas en rester là, Deadguy enchaine sans attendre avec la sortie toujours en 1994 de Work Ethic, un EP trois titres paru cette fois-ci sur Engine Records. Grâce à ces deux sorties déjà très solides, le groupe ne manque pas d’attirer l’attention et signe ainsi en 1995 avec Victory Records, structure encore balbutiante mais dont le nom commence sérieusement à circuler au sein de la scène Hardcore internationale grâces à plusieurs de ses sorties rapidement devenues emblématiques (Earth Crisis, Integrity, Snapcase, Strife, Warzone, Cause For Alarm...). Cette nouvelle collaboration aboutira ainsi dans les mois qui suivent au premier album de Deadguy, un disque intitulé Fixation On A Coworker sur lequel j’avais très envie de revenir.
Enregistré en mars 1995 aux célèbres Trax East Studios sous la houlette du jeune Steve Evetts (All Out War, Demolition Hammer, Discordance Axis, Human Remains, Incantation, Snapcase, The Dillinger Escape Plan...), celui-ci passe ensuite entre les mains d’Alan Douches (Cro-Mags, Warzone, Murphy’s Law, Both Worlds, Crown Of Thornz, Hatebreed, 25 Ta Life...) qui en assure le mastering. Trente ans ou presque après sa sortie, ce premier album n’a pas pris une ride en matière de production et pourrait encore tenir la dragée haute à quiconque se risquerait à jouer les gros bras d’un peu trop près.
S’il n’en est pas l’instigateur (la paternité reviendrait plutôt aux excellents Rorschach), Deadguy s’est rapidement imposé comme le digne successeur de ce groupe lui aussi originaire du New Jersey en reprenant ainsi à son compte certaines des caractéristiques si novatrices ayant fait le charme et surtout la particularité d’albums tels que Remain Sedate et surtout Protestant. Fixation On A Coworker se distingue de fait par des morceaux relativement courts (dix titres, trente minutes) constitués de riffs nerveux et tendus dont les sonorités oscillent librement entre Metal, Hardcore et Noise, de dissonances plus ou moins stridentes et agressives, de rythmiques tantôt chaloupées, tantôt plus chaotiques et de lignes de chant particulièrement abrasives et hargneuses. Une formule qui trente ans après les faits peut sembler tout à fait banale mais qui à l’époque constituait pourtant une petite révolution au sein d’une scène Hardcore de plus en plus ouverte à la nouveauté et à toutes les expérimentations puisque pour rappel sont arrivés plus ou moins à la même période des groupes tels que Cave In, Candiria, Unbroken, Botch, Converge et encore beaucoup d’autres qui auront permis de faire bouger les lignes et d’insuffler un vent de fraîcheur dans un genre encore très influencé par la scène Punk des années 80 (bien que l’influence de la scène Metal soit de plus en plus significative).
A l’exception d’un "Crazy Eddie" (et dans une moindre mesure d’un "Riot Stairs" et sa première partie plus "tranquille") qui du haut de ses cinq minutes va venir apporter un petit soupçon d’air frais en toute fin de parcours à un album étouffant (et encore, c’est surtout parce que ce titre plus long de quelques minutes se permet d’allonger les quelques séquences moins tendues), chacune des neuf compositions précédentes est marquée par le même caractère extrêmement crispé et suffocant. Si cette basse vibrante et métallique ainsi que cette batterie naturelle à la caisse claire délicieusement claquante y sont évidemment un petit peu pour quelque chose, ce sont surtout les riffs abrasifs, nerveux et dissonants de Keith Huckins et Chris Covino, le chant particulièrement intense d’un Tim Singer toujours au bord de la rupture et ces constructions complexes et changeantes qui vont surtout insuffler cette tension permanente qui caractérise ce premier album dont la dynamique générale semble toujours volontairement muselée (pas comme chez Botch, Converge ou The Dillinger Escape Plan qui tous laissent évacuer à un moment cette colère et cette frustration dans des excès de rage et de chaos pourtant jouissifs).
Album fondateur d’un genre qui n’en n’était encore qu’à ses premiers balbutiements, Fixation On A Coworker n’a jamais eu le succès ni la reconnaissance qu’il mérite. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le nombre de chroniques disponibles en ligne (sauf erreur de ma part, Thrashocore semble être le premier webzine hexagonal à s’y intéresser) pour se rendre compte que personne n’en a rien à carrer de Deadguy. Eh c’est bien dommage car ce manque d’intérêt n’a rien à voir avec la qualité de ce premier album mais est plutôt lié à des éléments extérieurs comme une carrière un poil courte et un manque flagrant d’exposition liée à une absence de tournée dans nos contrées. Aussi faire l’impasse sur Deadguy et sa musique quand on se dit amateur de Hardcore Chaotique est un non sens absolu et un manque de bon goût patenté qui vous hisse tout de suite et sans discussion possible dans la catégorie des nazebroques et autres personnes de peu d’intérêt. De mon coté j’ai fait mon taf à savoir propager la bonne parole par écrit en espérant que celui-ci mette quelques-uns d’entre vous sur le chemin de ce groupe précurseur et, quoi que l’on en dise, majeur.
| AxGxB 15 Janvier 2025 - 462 lectures |
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2 COMMENTAIRE(S)
citer | C'est bien là l'essentiel alors  Je te conseille vivement Kiss It Goodbye (puis Playing Enemy) qui est plus ou moins la suite de Deadguy (et plus récemment Bitter Branches). |
citer | J'étais un nazebroque sans intérêt mais j'ai vu la lumière ! :-D Excellent, je ne connaissais pas, je peine à croire que ce soit sorti en 95 ! Merci pour la découverte. |
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2 COMMENTAIRE(S)
15/01/2025 18:34
15/01/2025 18:17