Leviathan - A Silhouette In Splinters
Chronique
Leviathan A Silhouette In Splinters
« Les cauchemars, c'est ce que les rêves deviennent toujours en vieillissant » disait Romain Gary.
Je ne sais pas pourquoi, mais cette phrase s’est directement attachée à cet album de Leviathan. Ce dernier tient pourtant essentiellement du cauchemar et non du rêve. Un songe noir qui a dû en déboussoler plus d’un à l’époque, notamment après deux albums qui étaient ancrés dans le black metal, certes expérimental, certes déjà bruitiste, mais toujours indécrottablement old-school. L’histoire est connue : sorte de prélude à Lurker of Chalice, A Silhouette in Splinters est une plongée totale dans la part ambient de la musique de Wrest, alors déjà en froid avec le label Moribund et prêt à remplir sa partie du contrat rapidement pour faire paraître ses œuvres ailleurs (ce qui entraînera une dissolution temporaire de Leviathan en 2008).
Il y a eu une intuition, celle que cette phrase lue au vol disait quelque chose de A Silhouette in Splinters. Qu’elle était une clé pour mieux saisir ce disque et pourquoi il exerce tant un pouvoir de fascination sur moi. Bien sûr, on est loin de la qualité de l’unique album de Lurker of Chalice ; ce prélude en est bien un, voire un croquis de ce qui sera pleinement réalisé au sein de l’autre projet – sortant la même année mais dont on peut douter de la gémellité tant Wrest publiait alors au compte-goutte ses compositions pouvant dater de plusieurs années avant leur parution. Pour autant, il y a dans cette humeur maussade une étrange sensation de calme qui partage le ci-présent album de l’autre.
A Silhouette in Splinters sort sous le nom de Leviathan et il se colle à cette peinture ancienne, ce sentiment de décrépitude que l’on ressent déjà sur The Tenth Sub Level of Suicide et qui a tant fait faire des ponts avec le DSBM alors qu’il n’en contient pas formellement. Vieux comme une chimère sortant d’une caverne et ayant subi les affres du temps, il déroule son statisme qui n’est qu’apparence, égrène une négativité contenant en elle une forme de sérénité, celle de l’entité qui existe seule et n’a pas l’autre en vue. La différence se situe là, dans cette indifférence, où les atmosphères paraissent exister bien avant nous. Le monstre de l’illustration de Wrest rumine sans nous voir, spectateurs fortuits de sa vie et ses propres pensées.
Lurker of Chalice attaque notre psyché, l’infiltre et nous englobe de son nuage malsain ; A Silhouette in Splinters fait se demander ce qui guide cette bête. Est-ce une plénitude d’aveugle ? Est-ce les instincts primaires, que l’on sent grogner sur « Blood Red & True Part: 2 (A Spell to Vanquish Sea Serpents) » ? Est-ce une mélancolie de spectre, des larmes d’une tristesse qui ne se reconnaît pas, n’ayant pas trouvé de semblable pour la nommer (« It Comes In Whispers Part: 2 ») ? Seule, ancienne, la créature rêve et si cela peut nous sembler un cauchemar, elle ressent cela avec sa sensualité particulière, énigmatique, alien.
Question de préférence mais aussi question d’empathie : A Silhouette in Splinters fait de nous des observateurs intrigués tandis que Lurker of Chalice nous transforme en pantin subjugué. L’ambient, cette musique d’évocation, ne peut se juger qu’à l’aune de ses effets – ils sont ici moindres qu’avec le chef d’œuvre du projet parallèle de Wrest. Néanmoins, ce néant-ci se révèle assez riche pour être écouté lorsque les envies de nuit intérieure se font sentir. Une nuit dont on a bien du mal à tirer un discours mais que l’on regarde pourtant sans avoir envie de tourner le regard, voyeur privilégié.
| Ikea 21 Mai 2025 - 593 lectures |
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1 COMMENTAIRE(S)
citer | Meilleur disque avec TTTW. |
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21/05/2025 17:35